J’avoue tout de suite : c’était le premier numéro que j’ouvrais ! Je ne peux donc pas comparer avec d’autres numéros. Mais certains choix artistiques de cette parution m’ont fait grincer des dents.
Je ne suis pas fan de la nudité
Il y avait beaucoup de représentations de nus dans ce numéro et je ne suis pas une grande fan de nudité. Oui c’est quelque chose qu’on tend à banaliser et à dé-diaboliser, et c’est très bien. Et oui il y a de nombreuses œuvres d’art magnifiques qui nous montrent des gens tous nus (Egon Schiele <3), et que je vais moi-même beaucoup aimer, mais voilà : c’est personnel, trop de nudité me met mal à l’aise. Le plus souvent, si je ne suis pas prévenue, ça me fait comme une sensation d’écœurement, de gavage. Si je suis prévenue en revanche c’est différent, j’aborde vraiment la chose en me disant « ok ici il va y avoir du boobs » et là je prends la chose autrement.
Et encore moins de la nudité omniprésente des femmes…
Je vivrais la chose différemment si ces gens tous nus étaient autant des hommes que des femmes. Et c’est là où le bat blesse, c’est que ce que je vois principalement autour de moi, en terme de nudité, c’est une nudité féminine. C’est ce que j’ai retrouvé dans ce numéro d’Arts magazine : j’ai compté 104 représentations d’humains « féminins » (dont une vingtaine de nus) contre 79 humains « masculins » (dont moins d’une dizaine sont dénudés). Il faudrait que je re vérifie, mais dans mon souvenir, une très grande majorité d’entre eux étaient blancs, accessoirement.
Il n’y a pas de femmes créatrices interviewées dans ce numéro
Tout cela est encore assez habituel, même si mon petit grincement de dents s’accentue, mais j’ai rencontré un autre soucis dans ce numéro : il n’y a aucune femme créatrice interviewée ! Et là j’ai envie de dire, non, pas d’accord, ça ne va pas :'( ! C’est pas possible de sortir un numéro d’un magasine d’art sans aucune créatrice dedans, si ? Il n’y avait aucune femme de disponible, en hiver 2020, pour répondre à une petite interview ? Je trouve ça si triste ! La seule femme interviewée est galeriste, ce qui est super, mais les 12 créateurs interviewés sont… des créateurs, justement.
Alors voilà, un peu de déception quand même, même si par ailleurs les articles étaient cultivés et intéressants. C’est vraiment le genre de choix que je regrette, parce que le design d’un objet – n’importe quel objet – suggère une orientation, un point de vue, une action. Regardez votre volant de voiture : pour qu’il soit ergonomique, pour qu’il nous paraisse « logique », pour qu’il soit sécurisant à utiliser, un designer a très certainement travaillé dessus. La forme suggère l’usage. Pour une maquette de magazine, même si c’est un parmi 100 000, c’est pareil. On le lit, on le touche, on le regarde et il rentre dans notre œil : on s’en imprègne pour absorber ses informations, même si ce n’est qu’un moment. Son design nous souffle des choses à l’oreille. Ici, ce que j’ai l’impression d’entendre, c’est que pour être une femme dans le milieu de l’art, il vaut mieux être muse plutôt qu’artiste, blanche plutôt que de couleur, et nue plutôt qu’habillée. Un peu restrictif, non ?
Bonus : comparaison entre des unes, le match !
Pour finir, je vous propose une petite analyse comparée des Unes de Artension (janvier-février 2020) et de ce numéro de Arts Magasines. J’ai choisi cette une de Artension parce que je la trouve particulièrement sublime, et d’un parti pris radicalement opposé à celui d’Arts Magazine pour ce numéro. Prêt ? On y va.
Alors, qu’est-ce qu’on voit ?
Arts magazine :
– un portrait de femme contemporain, de profil, réalisé à la peinture, avec de nombreuses nuances : orangé, rose, vert, bleu, noir
– le fond est rose
– sa tête est penchée
– ses yeux vont vers le bas
– on ne voit pas le le dessus du crâne ni le bas du corps, coupé au niveau du buste
– elle porte un débardeur à fine bretelles noir
Artension :
– une photographie contemporaine d’un homme noir, accoudé sur un meuble recouvert d’un tissu, posant avec un ballon sous un coude
– le fond est bleu
– sa tête est tournée vers la droite
– ses yeux vont vers le haut
– il est coupé à mi-cuisse
– il porte des vêtements blanc et bleu qui peuvent évoquer des tenues historiques (un manteau bleu, une cravate blanche) mais revisités avec fantaisie : il porte 3 ceintures différentes
Qu’est-ce qu’on peut interpréter ?
Arts magazine : Malgré la modernité du traitement du sujet (les coups de pinceaux, les couleurs très toniques), difficile de ne pas voir dans ce portrait féminin une attitude de soumission, de résignation ou au moins, d’attente. La couleur qu’on lui associe est celle qui est associée traditionnellement aux femmes : le rose. Il n’y a pas de sourire, l’attitude est toute tournée vers le sol, la tête est basse, les yeux aussi. J’ai envie de lui donner un mouchoir et lui demander ce qui ne va pas, ou de savoir ce qui la rend si triste malgré ses belles couleurs.
Artension : Ici, on a aussi un homme associé à une couleur traditionnellement ‘masculine’, le bleu. Mais le traitement de l’image est très différent. Loin d’être tourné vers l’intérieur, il a le regard vers le haut, son menton est levé, il voit ce qui est hors cadre. Il semble détendu, presque nonchalant. Ses vêtements originaux sont portés avec recherche, élégance et même un brin d’humour (un petit clin d’œil avec ce ballon en plastique complètement anachronique?). Ils m’évoquent des tenues historiques militaires ou issues de la noblesse. Le cadrage de la photo appuie sa prestance : pris au niveau des hanches, il apparaît grandi et plus imposant.
Pour moi, ces deux unes nous montrent des partis pris radicalement différents.
Artension nous propose ici un visuel très moderne, valorisant pour le modèle et encourageant à l’originalité. Il sous-entend que cet homme noir a toute sa place dans le monde de l’art, voire même que pour cette photo, il le domine avec classe : même le titre du magazine lui laisse de la place !
La une de Arts magazine est, elle, plus conservatrice : l’originalité du visuel réside dans le traitement des couleurs, mais on est loin de nous proposer une image de femme active, puissante ou particulièrement décalée – d’ailleurs, elle n’a pas de bras donc en terme d’activité on a aucune idée de ce qu’elle fait. Avec en plus le fait que, encore une fois, ce numéro ne présente d’interview d’aucune femme artiste, cela veut-il dire qu’on doit se contenter des visions du monde masculines uniquement ?
Dommage non ?