Et oui, c’est un grand classique des lectures féministes, mais jusque là j’étais passée à côté. Il était temps !
Dans ce livre, l’autrice examine ce qui lui apparaît comme un déséquilibre : la différence de qualité et de profusion des romans écrits par les femmes, en dépit des romans écrits par les hommes.
Elle y mène une enquête mi-sérieuse, mi-fictive, pour expliquer ce phénomène, et emmène sa narratrice interroger des universités, leurs bibliothèques et la presse contemporaine du début du 19è siècle.
Alors, où sont les femmes écrivaines ?
Selon elle, les conditions matérielles ne sont tout simplement pas réunies pour les laisser apparaître.
Écrire demande du temps : or une femme à qui l’on demande de s’occuper de son mari, de la maison et des enfants est constamment interrompue et ne dispose pas d’une minute à elle. Écrire demande aussi de l’argent, ou au moins, une certaine tranquillité financière; or, dans son examen des sociétés modernes occidentales, les femmes sont pauvres et ne disposent pas d’argent bien à elles. Celles-ci ne pouvaient en effet ni travailler ni posséder de compte en banque à leur nom. Virginia Woolf en profite pour passer en revue une douzaine de poètes anglais renommés et explique que trois d’entre eux seulement connaissaient des difficultés matérielles. Le poète dont les conditions de vie étaient les plus précaires est aussi celui qui est décédé le plus jeune. Le mythe du poète pauvre, dont le génie littéraire naît sans éducation ni argent, est ainsi bien mis à mal ! Alors que dire de la situation des femmes ?
L’écrivaine plaide pour qu’un jour, ces conditions de vie changent, permettant aux femmes d’avoir une chambre à soi avec une serrure qui ferme et 500 livres de rente bien à elles – c’est le montant qu’elle estime juste pour pouvoir vivre correctement. Mais ce n’est pas tout : elle écrit aussi en faveur d’une libération de la pensée. Écrire « comme une femme », se référer aux injonctions demandées aux différents genres pour créer, c’est s’amputer d’une partie de son génie créatif. Pour elle, les meilleurs auteurs ont une pensée qu’elle appelle « androgyne ». Ils et elles se nourrissent de leur intériorité masculine et féminine pour écrire, et cela rend leurs productions plus riches, plus fertiles. Elle invite donc à se débarrasser des injonctions de genre pour créer librement !
Quelques mots sur le style d’écriture : pour un écrit d’il y a un siècle, je l’ai trouvé assez accessible. Ma dernière lecture féministe était un livre de Virginie Despentes : je pense qu’on ne peut pas trouver deux styles d’écriture aussi opposés. Vous ne trouverez dans ce livre aucune crudité, tout est dit avec, je trouve, beaucoup de délicatesse et de finesse. Ce n’est pas non plus un pavé, il se lit assez vite. Je souhaitais vous le partager car je trouve que la réflexion de Virginia Woolf est intéressante pour toutes les personnes qui veulent créer, pas seulement pour les écrivains-aines. Je rejoins son avis globalement : pour pouvoir se consacrer à son art, quel qu’il soit, un lieu à soi, du temps et une certaine stabilité financière même minimale sont les meilleurs ingrédients de départ, encore aujourd’hui.
Pour moi, c’est un livre lumineux, encourageant, parfois délicieusement acide, et assez concret pour que l’on suive son cheminement sans trop de mal. Et vous, l’avez-vous déjà lu ? Qu’en avez-vous pensé ?