J’ai eu la chance d’aller en voyage à Londres en septembre, et, si j’ai pu me prélasser dans les bus à touristes, déguster des mashed potatoes et mettre ma claustrophobie à l’épreuve dans le métro londonien, j’en ai aussi profité pour aller voir de l’art avec un grand H. J’ai donc été voir ce qui se passait à la Whitechapel Gallery et j’y ai découvert A Clay Sermon, une exposition de l’artiste américain Theaster Gates.
Né en 79 à Chicago, cet artiste très engagé pour sa communauté utilise l’argile comme médium de prédilection.
Il s’exprime par des sculptures, des installations, et réalise parfois des performances mêlant sculpture et musique. La sélection d’œuvres réalisée par la Whitechapel Gallery couvre son travail sur une vingtaine d’années, allant de ses débuts dans la poterie à ses créations plus récentes, et incluait aussi des pièces sélectionnées par l’artiste lui-même.
L’exposition a été pour moi assez difficile à aborder : sur mon échelle de « l’art contemporain est hermétique », on était à peu près à 4/5. Des objets qui n’ont pas toujours de forme reconnaissable, petits et monumentaux, quelques encarts en anglais qu’il faut lire avec attention mais qui restent un peu trop courts pour vraiment pouvoir s’en imprégner. Les pièces les plus figuratives m’ont cependant touchée, comme celle en photo de Une et qui présente une femme que l’on a visiblement rabaissée au niveau d’objet et engluée dans du béton, ou cette étonnante série de masques (ci-dessous).
Mais moi, je voulais surtout vous parler de vidéo, car cette exposition abritait un petit trésor : une vidéo créée par l’artiste que je n’ai pas pu retrouver ailleurs sur le web. Et qui m’a beaucoup touchée.
Un court métrage puissant, évocateur, libre !
On m’a dit à la fac qu’un film ou une vidéo, c’était avant tout de la texture, et en voyant A clay sermon de Theater Gates, j’ai trouvé cette idée tout à fait juste.
Elle durait environ 15 minutes, et j’y ai vu un autoportrait collectif, un instantané d’un travail et d’une recherche que l’artiste mène sur plusieurs fronts :
- architectural : les images sont tournées dans une ancienne manufacture de briques, dans le Montana, au cœur des montagnes. Vous verrez des fours, des toits, des entrepôts. L’image fait la part belle au décor. Rien n’est récent, on voit des fours sous la neige, des choses usées, des pièces et des murs « dans leur jus ».
- artistique : beaucoup d’objets en argile et en céramique sont là : on voit le travail en direct, l’élaboration, le façonnage au tour, la fin de cuisson, mais aussi des sculptures un peu partout entreposées dans le bâtiment. Les images récentes sont aussi entrecoupées d’images d’archives. Le lieu est visiblement un espace de transmission et de partage autour de l’argile.
- sonore et musical : cet aspect de bout du monde est magnifiquement habité par l’artiste et son groupe de musique, The Black Monks. Au milieu de toute cette neige, de ces montagnes, de ces œuvres plus ou moins abstraites en terre, de cet endroit un peu désolé, on chante, et on danse ! Cuivres, synthé, éléments de gospel et improvisation jazz : la scène finale m’a transportée. On y voit The black Monks s’exprimer avec passion, autour d’un autre personnage silencieux : une sorte d’amphore en terre de 2m de haut, autour de laquelle tous les musiciens évoluent. Leur harmonie, leur lâcher-prise et leur bien-être ensemble sautent aux yeux et on a qu’une seule envie : les rejoindre pour aller danser ou les écouter en direct !
- J’en viens donc au dernier point : tout ce travail est intensément basé sur la solidarité et la collaboration, et ça se voit. Jeunes et vieux sont présents et travaillent ensemble, faisant vivre un lieu qu’on aurait pu croire abandonné.
Cette vidéo est un remède parfait à des yeux habitués à un bain de Netflix et d’Hollywood – les miens ne font pas exception ! Ici, on est sur un terrain intergénérationnel, un peu âpre et rugueux, mais habité, passionné, solidaire, créatif et chaleureux. Un bain qui fait du bien !
Avec A clay sermon, Theaster Gates nous montre ici, non pas un travail solitaire et isolé, mais bien une réflexion sur le collectif et l’histoire, avec une dimension sonore qui apporte de la profondeur et de l’intensité.
Si on ne le connaît pas encore, cette exposition est donc l’occasion de le rencontrer (ne manquez surtout pas la vidéo!). Et si on connaît, on appréciera sûrement la finesse de ses références, son art afro mingei et ses références à la spiritualité. Allez y jeter un œil et une oreille si vous avez l’occasion !
Et pour plus de musique, je vous conseille ce concert des Black Monks (anciennement Black Monks of Mississipi) en écoute sur Youtube 👇👇
Whitechapel Gallery, Londres
Du 29 septembre 2021 au 9 janvier 2022, gratuit