Les femmes aussi sont du voyage – l’émancipation par le départ est un essai féministe écrit par Lucie Azema, voyageuse elle-même, et paru en 2021 chez Flammarion. Ce livre apporte un vent de fraîcheur sur le voyage, car il permet d’aborder cette grande thématique romantique d’un œil différent de celui dont on peut avoir l’habitude. Attrapez vos valises et en route !
Un renversement de l’imaginaire sur les femmes voyageuses
Avec Lucie Azéma, on découvre ou on re-découvre que les femmes ne sont pas toujours restées chez elles, loin de là. À travers une immense bibliographie, on part à la rencontre de ces femmes qui ont parcouru la jungle, escaladé des montagnes, écumé les mers. Et contrairement aux idées reçues, ces femmes n’étaient pas toutes occidentales, et elles n’ont pas non plus attendu le 21ème siècle pour franchir le pas de leur porte. Le voyage est ici vu comme un vecteur d’émancipation et une possibilité d’exploration, tant du monde que de soi-même.
Les voyageuses rapportent des connaissances
Et si le regard des voyageurs était incomplet ou biaisé, et qu’il lui manquait une perspective féminine ? L’exemple le plus frappant du livre concernant l’image véhiculée par les célèbres harems. La peinture, les récits de voyage occidentaux habituels nous en brossent un portrait luxueux, sensuel et érotique, où des femmes toutes plus belles et disponibles les unes que les autres attendent le bon plaisir du voyageur pour s’offrir. La réalité dépeinte par les voyageuses, elle, est toute autre. Tout d’abord, tout porterait à croire que les « harems » visités par ces messieurs soient tout simplement des maisons closes maquillées pour leurs clients. Quant aux femmes qui ont pu témoigner de la vie en harem, elles dépeignent une toute autre réalité et s’y ennuient ferme. La promiscuité, la saleté, la faim viennent compléter un tableau tout à coup beaucoup moins idyllique.
Alors, inutile, la pluralité de points de vue ?
Les grandes figures mythiques de l’exploration ne sont pas des modèles d’éthique
On a envié leur liberté, lu leurs écrits, on les a imaginé triomphant de l’adversité, machette à la main, maîtres de leurs destinées : oubliez tout ça, ce livre vous en montrera une autre facette ! Les voyageurs ont, semble-t-il, souvent des comportements qui laissent à désirer : achat d’« épouses » sur place (pour ne pas dire esclaves), abandon pur et simple de leurs femmes et enfants, viols, tourisme sexuel, harcèlement… être « ailleurs » semble souvent être un bon prétexte pour laisser libre cours à ses pulsions.
Et quand les voyageurs rencontrent des voyageuses, ils sont loin d’être tendres : ils les mettent en danger par incompétence, les harcèlent, les rabaissent, ou décrédibilisent leurs exploits sportifs, comme dans le cas de Lydia Bradey, première femme à avoir gravi l’Everest sans oxygène.
Kerouac, Loti, Hemigway, Hall, Flaubert et tant d’autres en prennent pour leur grade.
Le monde occidental n’a pas le monopole de la civilisation
Toujours en s’appuyant sur les récits de nombreux voyageurs, Les femmes aussi sont du voyage nous montre à quel point le regard porté sur les lieux visités peut être ethnocentré, conquérant. Îles et pays sont comparés à des femmes qu’il faudrait posséder, conquérir, vaincre ou domestiquer : le comportement envers les femmes locales en découle naturellement. Celles-ci sont achetées, essentialisées (leurs attributs n’étant pas considérés comme les leurs propres, mais comme représentatifs d’une ethnie), objectifiées. Éventuellement, on leur laissera en souvenir pauvreté, enfants plus ou moins désirés et /ou syphilis (coucou Gauguin).
Alors non, c’est sûr, ce livre n’est pas tendre avec les voyageurs. Mais il a le mérite d’apporter un point de vue éclairant sur un sujet inépuisable, qui fait rêver petits et grands (ou devrais-je dire, petites et grandes), et d’en déboulonner certaines croyances. Il affirme, au contraire, que voyager peut se faire dans le respect de l’autre, d’une part, et que les femmes ont tout à fait leur place dans l’aventure.
Deux seuls petits regrets :
– j’aurais aimé qu’on y parle un peu plus d’argent.
Même s’il n’est pas toujours question de voyage de loisirs (on y aborde aussi les voyageurs non libres, esclaves par exemples) dans ce livre, la question de l’autonomie financière me paraît indissociable de celle du voyage. Mais peut-être aussi que le sujet était trop vaste pour être abordé dans un seul livre ?
– Jéromine Pasteur n’apparaît pas :’(
et ça c’est triste. Ok c’est un regret tout à fait personnel, mais ses écrits ont littéralement bercé mon enfance : son voilier, son chat, ses amoureux, ses aventures en Afrique, son arrivée au Brésil, sa famille d’adoption amérindienne (qui ont tous été massacrés par la suite, ce monde est horrible T.T)… j’ai attendu son nom dans tout le livre ! Mais j’imagine qu’on ne pouvait pas citer TOUTES les voyageuses, n’est-ce pas ?
Les femmes aussi sont du voyage, une lecture qui m’a beaucoup apporté.
J’ai eu besoin de la digérer un petit peu car certaines parties sont assez dures, notamment quand il est question d’exploitation sexuelle de très jeunes personnes. Cependant, le message général du livre reste indéniablement positif : c’est un appel à un voyage plus éthique, respectueux de chacun et chacune, et un formidable plaidoyer pour la mobilité des femmes. Lecteurs et lectrices sont invités à se questionner sur leurs propres freins et motivations : du conseil de « rentrer tôt » au fait d’éviter certaines rues ou certains quartiers, se balader ou flâner quand on est une femme suscite toujours des réactions. Et que dire d’aller seule à l’étranger ! Sans porter de jugements, Les femmes aussi sont du voyage interroge l’imaginaire occidental du voyage. Il affirme, et ça fait du bien, que les femmes sont légitimes pour flâner, errer, vagabonder, vadrouiller.
Et que loin d’être un lointain principe théorique, elles le font depuis des siècles ! Un magnifique exemple d’histoire féminine qui va aller tout droit dans ma section matrimoine 😉
Le vent du large vous emporte et vous voulez aller plus loin ?
- Voyageurs, « gitans », « tsiganes », « Roms », « gens du voyage »… Le voyage selon la perspective des nomades français, c’est chez William Acker que ça se passe. Grosse déconstruction des clichés et antiracisme au programme sur son fil Twitter ! Notez qu’il vient de faire paraître aussi son livre, que je n’ai pas (encore?) lu.
- Des récits de voyageureuses non occidentaux, ça vous dit (en anglais) ? Dans ce fil Twitter, Samira Musleh nous propose une sélection de récits de voyages qui font carrément envie.
- le site de Jéromine Pasteur, parce que du coup écrire cet article m’a donné envie de savoir ce qu’elle devenait, et je suis ravie de voir qu’elle écrit et voyage toujours… ohlala, quelle femme ! Je vais acheter tous ses liiiiiiivres 😀
Ça sentait la mer, ça marmonnait le grand large. L’esprit des océans traînait entre ces murs. Suivant la fantaisie des hommes, il était venu s’échouer là en curieux. Vivant, actif, festif…
Jéromine Pasteur (vous n’allez pas y échapper, je l’aime)